La problématique de l’erreur oppose, depuis la nuit des temps, les communautés scientifiques et philosophiques. Si certains pensent qu’il existe des méthodes pour se préserver contre l’erreur, d’autres estiment inutile de chercher à la fuir comme une épidémie.
« C’est une banalité de dire que la science expulse l’erreur, se substitue à l’ignorance. Mais trop souvent aussi, philosophes ou savants ont conçu l’erreur comme un accident regrettable, une maladresse qu’un peu moins de précipitation ou de prévention nous eût épargnée, et l’ignorance comme une privation du savoir correspondant ». Ces propos de Georges Canguilhem, philosophe français du XXe siècle, ouvrent tout un champ de discussion.
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Les entrepreneurs, les étudiants, des lauréats, bref des initiateurs, n’hésitent pas à abandonner leur projet dès qu’il est jalonné d’échec dû à des erreurs qu’ils auraient commises. Des erreurs qui sont généralement traduites dans la plupart du temps comme une ignorance. Or, c’est plutôt cette considération qui relèverait d’une grande ignorance. Contre ces erreurs, certains proposent des recettes.
La recette cartésienne
L’homme doit apprendre à travailler avec méthode. Cela est si essentiel pour lui, s’il veut réellement réussir dans son entreprise que René Descartes, philosophe français du XVIIe siècle, a dégagé des méthodes auxquelles les hommes doivent se soumettre pour résoudre les tâches qui les attendent.
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Quel est le contenu de cette méthode ? Descartes nous enseigne au préalable à éviter toute précipitation lors de la résolution de nos problèmes. Face à toute situation, il faut rester calme pour bien analyser tous les paramètres et ensuite le diviser en autant de parties possibles. Cette division est nécessaire puisqu’elle nous permet de classifier les problèmes du plus simple au plus complexe. Dans notre résolution, nous devons commencer par les plus simples pour avancer petit à petit vers les plus complexes. Enfin, nous devons conduire un contrôle de vérification pour voir s’il n’y a pas eu d’éventuelles omissions.
Cette recette constitue en fait une excellente méthode de travail scientifique et philosophique permettant à quiconque désireux de découvrir la vérité de l’atteindre efficacement tout en se préservant d’éventuelles erreurs.
Descartes et Popper
Sérieux ! Existe-t-il vraiment un moyen pour se préserver contre les erreurs ? Fuir les erreurs n’est-ce pas se fermer des portes du savoir ? Cette méthode cartésienne serait assez audacieuse et dogmatique. Aucune stratégie ne peut nous protéger contre les erreurs qui sont d’ailleurs nos compagnies. Elles constituent pour nous des expériences qui nous ouvrent des horizons de la connaissance.
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En effet, Descartes lui-même reconnait la possibilité de l’erreur. Elle est le fruit de la précipitation, l’œuvre du mauvais génie, qui se plait à nous tromper, ainsi que de plein d’autres facteurs externes. « Toutefois il se peut faire que je me trompe, et ce n’est peut-être qu’un peu de cuivre et de verre que je prends pour de l’or et des diamants », reconnait Descartes.
N’est-ce pas aussi tout le sens de la falsifiabilité de Karl Popper ? Selon ce philosophe du XXe siècle, il n’existe aucune vérité que l’on puisse atteindre. L’homme, en tant qu’être faillible ne peut que se rapprocher de la vérité, d’où la notion de verisimilitude.
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« Seule l’idée de la vérité nous permet de parler, avec pertinence d’erreur ou de rationalisme critique, et rend possible la discussion rationnelle, c’est-à-dire cet examen critique où nous cherchons à découvrir nos erreurs avec l’objectif concerté d’en éliminer la plus grande part, afin de nous approcher de la vérité. Ainsi, l’idée même de l’erreur — ou de notre faillibilité — implique l’idée de la vérité en tant que norme qui ne sera pas nécessairement atteinte [NDLR] », explique Popper pour dire l’impossibilité de se préserver complètement contre la venue de l’erreur. Du coup, l’on ne peut que se rapprocher de la vérité en éliminant au cours de notre quête des erreurs qui deviennent pour ainsi dire des expériences pour nous.
Penser, c’est se tromper
Pour sa part, Émile-Auguste Chartier dit Alain, philosophe français de la moitié du XXe siècle, ne disait-il pas que « Quiconque pense commence toujours par se tromper ». L’erreur et la vérité sont des compagnies de route. Les erreurs commises par jugements téméraires deviennent pour nous, pour un moment, des vérités une fois que nous réussissons à les corriger et les dépasser.
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Savoir, c’est rectifier
Héraclite n’a-t-il pas déjà précisé qu’on « ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Si cela est confirmé, nous pouvons soutenir que la commission d’erreur possibilise le savoir. L’enfant qui met sa main au feu ne risque plus de commettre la même erreur qui est devenue pour lui une expérience. Voilà la vertu de l’erreur.
Pour sa part, Gaston Bachelard, philosophe français également, ne dit pas moins lorsqu’il nous parle de la connaissance scientifique : « [NDLR] L’esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d’une longue erreur, on pense l’expérience comme rectification de l’illusion commune et première. »
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